Plus de 10 milliards d’euros de crédit immobilier distribués : record battu pour les 20 ans de Meilleurtaux. Le groupe surfe sur l’engouement des Français pour la pierre : plus d’1 million de transactions signées l’année dernière, financées à 90 % à crédit. Le crédit, c’est la spécialité de ce courtier : aider les particuliers à trouver la banque qui financera leur acquisition. Et si Meilleurtaux est le leader du secteur, devant des spécialistes historiques comme Cafpi, il le doit à son site Internet : en multipliant les calculettes et les simulations gratuites, sa fréquentation est passée de 10 millions de visiteurs uniques en 2012 à 90 millions l’an dernier. Et un visiteur sur 500 sera ” transformé ” en client.
Pour y arriver, le groupe a mis au point un process inspiré d’Amazon. Meilleurtaux a créé une infrastructure qu’il met à disposition de ses banques partenaires – l’équivalent de la place de marché du géant américain de l’e-commerce -, leur permettant d’être plus réactives. « Grâce à Meilleurtaux, notre processus de décision est bien plus rapide qu’auparavant, témoigne Emmanuelle François, directrice générale du CFCAL, une filiale spécialisée de la Société générale. Même pour des investisseurs, des clients à l’étranger ou des montages complexes, de nombreux dossiers reçoivent une autorisation dans les 48 heures. »
Parcours mouvementé
Une mécanique imparable qui tranche avec une histoire chaotique. Le fondateur, Christophe Crémer, a vendu ses parts en 2007 à BPCE, pour 70 millions d’euros. Le groupe bancaire veut alors transformer la start-up rentable en plateforme de crédits pour ses réseaux Caisses d’épargne et Banques populaires. Visionnaire. Un peu trop : les fédérations régionales de ces établissements y ont vu un concurrent, auquel elles se sont fait un devoir… de n’envoyer aucun client. En 2011, le site est moribond et BPCE fait appel à un « nettoyeur » pour le redresser : Hervé Hatt, un ancien de McKinsey et d’Axa Banque. « Quand je suis arrivé, explique ce diplômé d’HEC et de Stanford, l’entreprise perdait de l’argent et était donnée pour morte. J’ai rapidement mis en place un plan de sauvegarde de l’emploi et, dès l’année suivante, elle a repris sa croissance. » En 2013, pourtant, BPCE change de cap et vend au fonds Equistone (ex-Barclays Private Equity) pour, dit-on, 25 millions d’euros, ce site qu’un ponte du groupe qualifiait alors de « pot à emmerdes ».
Mais, pour Hervé Hatt, Meilleurtaux est plutôt un « pot à miel », et il n’est pas le seul à le penser. En 2017, West Street Capital Partners, un fonds de Goldman Sachs, rachète l’affaire : « On serait bien restés, explique Guillaume Jacqueau, président d’Equistone France, mais la proposition de Goldman Sachs nous a convaincus qu’il était temps de passer à l’étape suivante. » On le comprend : l’américain aurait signé un chèque de… 265 millions d’euros – une somme qu’il n’a pas souhaité confirmer – pour ce site qui réalise alors 140 millions d’euros de chiffre d’affaires et 20 millions de résultat d’exploitation. Cher ? Sans doute. Mais la banque américaine a du flair : elle a, explique-t-elle, reconnu « un modèle innovant, qui combine une plateforme digitale et un réseau intégré de franchisés entrepreneurs ».
Cap sur l’assurance…
L’Amazon du crédit immobilier, même si la conjoncture est radieuse, cherche à accélérer. Et ce n’est pas évident. Première limite : la capacité des Français à s’endetter davantage (lire l’encadré ci-contre). Seconde limite : la capacité des banques de continuer à – grassement – rémunérer ces « apporteurs d’affaires » que sont les courtiers. Ceux-ci touchent en effet 1 % du montant du crédit : exorbitant, quand les taux des mêmes crédits atteignent… 1 %. « Mais c’est un paiement unique, proteste Hervé Hatt. Et ce 1 %, rapporté à un crédit qui s’étale en moyenne sur dix ans, ne leur coûte que 0,1 % par an ! » N’empêche, explique Thomas Rocafull, chargé de la banque au conseil en stratégie Sia Partners, « l’intermédiaire devient de plus en plus coûteux ». Et les banques, même si elles ne peuvent plus se passer des courtiers pour recruter des clients, négocient âprement leurs commissions.
Du coup, « le prêt immobilier ne rapporte plus autant qu’avant. Ce qui rapporte, c’est l’assurance, et notamment l’assurance emprunteur, qui est associée au prêt immobilier », analyse Philippe Taboret, directeur général adjoint de Cafpi, le principal concurrent de Meilleurtaux. « Pour les banques, c’est la dernière poche de marge, avec une rentabilité très élevée et des variations de prix qui vont de 1 à 3 », confirme Sophie le Goff, en charge de l’assurance à Sia Partners.
Sur ce créneau, les courtiers ont pris une place prépondérante. Meilleurtaux l’a bien compris. En six ans, il a procédé à huit acquisitions : ChoisirmaBanque et Multi Impact (2014), Préféo et Pixeo (2016), Assurea (2017), CBanque (MoneyVox) et Presseo (2016) et, en 2019, Monfinancier. Avec une préférence pour l’assurance. Résultat : l’assurance emprunteur et dommages représente désormais près de la moitié du chiffre d’affaires.
… et l’épargne
L’étape suivante, ce sont les produits financiers. « Pour l’épargne, certains clients haut de gamme connaissent Rothschild, Lazard, ou de gros cabinets de gestion de patrimoine comme Cyrus et l’UFF, mais il n’existe pas encore de marque indépendante connue du grand public. Nous serons cette marque », explique Hervé Hatt. Une marque qui pourra s’appuyer sur un réseau « physique » de 380 magasins, dont un bon nombre en franchise.
Cela ressemble à du « build up », cette technique qui consiste pour les fonds de capital-investissement à racheter des entreprises et à les fusionner pour faire grossir leurs protégés… afin de mieux les revendre. « Oui, et alors ? Grâce à cela, nous croissons de 20 % par an », répond Hervé Hatt, qui détient avec quelques cadres environ 10 % du capital. Goldman Sachs aurait testé, l’automne dernier, l’appétit du marché pour Meilleurtaux. L’affaire ne s’est pas faite. Mais le prix méritait réflexion : plus d’1 milliard d’euros.
Trop de crédits en France, et pas assez chers ?
L’avertissement a été lancé aux banques par le Haut Conseil de stabilité financière. Cette émanation de la Banque de France s’inquiète de la progression de l’endettement des Français : 5,2 années de revenus en moyenne aujourd’hui, contre 4,2 années en 2015 et 3,2 en 2003. Et de la concurrence acharnée à laquelle se livrent les banques pour attirer les clients et qui les conduit à (trop) baisser les taux de leurs crédits : « Les marges doivent être suffisantes pour couvrir les coûts et les risques », a prévenu le porte-parole du HCSF (et gouverneur de la Banque de France), François Villeroy de Galhau. Les banques y ont vu un bon moyen de réduire le pouvoir des courtiers, qui captent jusqu’à 40 % de parts de marché sur les prêts immobiliers. Plusieurs d’entre elles, dont le Crédit mutuel de l’Est et trois caisses régionales du Crédit agricole, ont dénoncé leurs partenariats avec des courtiers. Et les autres veulent réduire de 30 % à 50 % leurs commissions : les temps sont durs pour les courtiers immobiliers.