Paris, France — A l’occasion du 32ème congrès de la Société Française de Rhumatologie (SFR), le Dr Serge Perrot a fait un tour d’horizon sur la potentielle place du cannabis thérapeutique dans le traitement des douleurs ostéo-articulaires, qui rappelons-le ne sont pas incluses dans l’expérimentation du cannabis thérapeutique telle que prévue en France en 2020 [1].
Débat passionnel
« Le cannabis thérapeutique s’inscrit dans un débat non médical, parfois passionnel et lié à un effet générationnel. Une vraie question se pose pour les rhumatologues : pourquoi interdire le dextropropoxyphène, le clonazépam et bientôt le tramadol voire le paracétamol et autoriser le cannabis qui n’a pas encore fait ses preuves. Mais si des études montrent que ce produit est efficace en rhumatologie, pourquoi s’en priver ? », analyse le Dr Perrot
Pourquoi utiliser du cannabis en rhumatologie ?
Les dérivés cannabinoïdes agissent sur le système cannabinergique constitué de 2 principaux types de récepteurs : CB1, présents dans le système nerveux central et impliqués dans la douleur, la mémorisation, le plaisir, le sommeil, et les CB2 présents en périphérie, associés au système immunitaire et qui pourraient être dotés d’un effet anti-inflammatoire. Différents composés peuvent cibler le système cannabinoïde : les agonistes complets (les molécules synthétiques), les agonistes partiels (tétrahydrocannabinol ou THC), les antagonistes (rimonabant) et les agonistes inverses (cannabidiol ou CBD).
Chez l’animal, ce sont surtout les récepteurs CB2 qui ont été ciblés à l’occasion d’études précliniques. Le cannabidiol, dans ce contexte, est efficace pour lutter contre les douleurs nociceptives principalement par le biais d’une action anti-inflammatoire.
Chez les volontaires sains avec douleur induite par la capsaïcine, le THC (à dose faible, moyenne ou forte) ne modifie pas la douleur 5 minutes après l’injection. Après 45 minutes de délai, il semble exister une hyperalgie paradoxale avec les doses de THC les plus élevées.
Chez l’homme, une méta-analyse publiée en 2018 (104 études, 9 958 patients) conclut à une efficacité limitée du cannabis sur les douleurs ostéo-articulaires mais à une amélioration des comorbidités (anxiété, troubles du sommeil [2]).
En France, trois médicaments, dérivés cannabinoïdes, sont disponibles : ATU nominative pour le dronabinol pharmaceutique (douleurs centrales de la SEP et du cancer), AMM pour la combinaison pharmaceutique THC/CBD (non commercialisé car en attente de prix) et le cannabidiol pharmaceutique (épilepsies réfractaires).
En rhumatologie, peu d’évolution au cours des 5 dernières années
Dans le domaine de la rhumatologie, les études sont assez limitées : un petit travail sur la polyarthrite rhumatoïde avec un effet sur les paramètres de l’inflammation avec le THC et le CBD [3], et une méta-analyse sur le fibromyalgie [4] concluant à une absence d’effet (Voir aussi : Douleurs rhumatismales : les cannabinoïdes peuvent-ils les soulager ?).
La situation n’a donc pas beaucoup évolué depuis le congrès de l’ European League Against Rheumatism de 2014 où le Dr Mary-Ann Fitzcharles, rhumatologue et professeur de médecine à l’Université de McGill, et spécialiste de la question, avait été claire : il n’existe pas d’étude formelle ni sur le court terme ni sur le long terme montrant que fumer de l’ « herbe » soulage les patients atteints de rhumatisme (voir Rhumatismes : l’efficacité du cannabis sur la douleur reste à démontrer).
Un statu quo qui fait le désespoir des patients rhumatologiques très en demande de cannabis thérapeutique, l’expérimentation de 6 mois mise en place en 2020 par l’ANSM ne comprendra que 5 indications non ostéo-articulaires : douleurs chroniques suivies dans des centres de lutte contre la douleur, épilepsie réfractaire ; douleur de SEP, soins palliatifs et soins de support.