La directrice générale adjointe de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient d’annoncer que l’expérimentation du cannabis thérapeutique démarrera en France en septembre prochain. 3000 patients ont été choisis pour participer à cette expérimentation pendant 2 ans. Le Pr Nicolas Authier, psychiatre-addictologue, a été chargé de mettre cette expérimentation en place.
Comment se déroulera cette expérimentation ?
Nicolas Authier : Nous allons élaborer le cahier des charges pour sa mise en place. Le cannabis médical n’est pas un produit anodin et peu le connaissent. Nous devons d’abord former les personnels de santé concernés – médecins et pharmaciens. Puis sélectionner le produit : aucun laboratoire français ne produisant d’extrait médical issu de la plante, nous devrons nous tourner vers des fournisseurs étrangers. Enfin, mettre en place un registre de collecte des données, qui permettra l’évaluation scientifique de cette expérimentation. Alors seulement les premiers patients pourront en bénéficier. La prescription initiale sera réservée à des spécialistes ( neurologues, cancérologues… ), à l’hôpital. Le renouvellement pourra être fait par le médecin traitant.
Quels malades en bénéficieront ?
Cinq grandes indications ont été retenues, avec l’objectif de suivre 3000 patients sur 6 mois. Ainsi, le cannabis pourra-t-il être prescrit dans différents traitements : douleurs chroniques neuropathiques, liées à des suites opératoires, accidents ou lésions nerveuses, consécutives à une hernie discale, par exemple, ou des traitements anticancéreux ; contractions musculaires involontaires (spasticités) dues à la sclérose en plaques ou des lésions de moelle ; aux épilepsies résistantes de l’adulte et de l’enfant ; en soins de support d’oncologie, non pour traiter le cancer lui-même, mais soulager anorexies, dénutrition ou nausées résistantes ; en soins palliatifs, enfin, pour aider à mieux supporter les chimiothérapies, traiter les douleurs et résoudre les problèmes d’anxiété et de sommeil.
Dans tous les cas, il ne sera jamais prescrit en première intention : seulement à ceux qui ne répondent pas, ou plus, aux traitements classiques existants pour chaque indication.
Pourquoi la France doit-elle faire cette expérimentation ?
De nombreuses études scientifiques rapportent une amélioration de la qualité de vie de certains patients.
Elles ne sont pas aussi complètes que celles menées sur des médicaments “classiques” : il nous faut améliorer ces connaissances, notamment sur la posologie adaptée à chaque indication. Mais on sait aussi que certains patients ont déjà recours au cannabis en automédication.
Cette réalité a toujours existé, son usage médical contre la douleur est connu, de façon empirique, depuis des millénaires, et elle est devenue de plus en plus visible à mesure que ses usagers se sont structurés pour réclamer que l’on reconnaisse son intérêt thérapeutique. Aujourd’hui, qu’ils achètent le cannabis auprès de dealers ou le cultivent, ils sont à la fois dans l’illégalité et exposés aux risques d’un cannabis sans garantie d’efficacité, ni stabilité dans le temps et potentiellement source d’effets indésirables. Puisqu’il est du ressort de la médecine de soulager sans nuire, il est important d’aider ces patients à disposer d’un produit de qualité.
Quelles substances présentent un intérêt médical dans le cannabis ?
On parle de cannabis médical de façon générique. La plante est un mélange complexe de centaines de molécules actives (cannabinoïdes), présentes en proportion variable. Parmi elles, deux permettent d’envisager des médicaments pour des indications différentes, selon que leur ratio est plus ou moins important.
La plus présente dans la plante – et plus célèbre – est le tétrahydrocannabinol (THC). Recherché par les usagers de cannabis récréatif pour ses effets psychotropes, il diminue la sensation de douleur mais est aussi le plus impliqué dans ses effets indésirables (dépendance, sédation, somnolence, troubles cognitifs, crises d’angoisse, symptômes psychiatriques… ). Le cannabidiol (CBD) est, lui, dépourvu d’effets secondaires, réduit les effets psychotropes du THC, et a des propriétés neuro-protectrices, sédatives, décontractantes. Pour un usage antidouleur, par exemple, il est intéressant d’avoir un produit plus dosé en THC, et contre l’épilepsie peu de THC pour beaucoup de CBD.
Sous quelle forme le cannabis médical sera-t-il dispensé ?
Il n’est pas question de le fumer. Deux types de traitements sont aujourd’hui en cours de discussion. L’inhalation par vaporisation, qui permet des effets plus rapides sur les symptômes, est intéressante pour le traitement des douleurs. Nous devons aussi décider d’une forme par ingestion, plus adaptée à un traitement de fond : des capsules ou gélules, offrant une action à la fois plus lente et prolongée.
Le cannabis thérapeutique a-t-il des limites ?
Il n’y a rien de miraculeux dans le cannabis thérapeutique. Il n’a pour l’instant pas fait la preuve d’être aussi efficace, voire plus, que d’autres traitements. Mais il peut élargir la palette de produits pharmacologiques. Dans les indications que nous avons sélectionnées, pour un certain nombre de patients qui résistent aux traitements traditionnels, face auxquels on est aujourd’hui démunis, il nous paraît légitime de pouvoir le prescrire, en complément ou comme alternative
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